Je m’appelle : Dr. Bernard Nau
Ma relation avec HHHI/ECHH : membre du Conseil d’administration de Healing Hands for Haiti International.
Depuis quand : depuis 2006
Décrivez ce que vous faites : Haïti a toujours été mon chez-moi. J’ai eu le privilège d’accéder à une bonne éducation et d’étudier la médecine dans mon pays, et je me suis spécialisé en orthopédie. J’ai fait ma formation post-doctorale à l’étranger, puis je suis revenu à Haïti, car j’avais le désir de redonner à mon pays.
Pendant de nombreuses années, j’ai enseigné aux résidents en orthopédie à l’école de médecine très mal équipée à Port-au-Prince. J’ai ensuite débuté une pratique privée, et je donnais une journée par semaine au service des pauvres dans les hôpitaux de mission. Pendant mes années comme chirurgien orthopédique à Haïti, j’ai affronté le défi d’offrir des soins à des gens pauvres à l’aide d’équipement désuet, avec un accès très limité aux implants et instruments chirurgicaux, même les plus élémentaires.
Votre réaction immédiate : Après de nombreuses tentatives, j’ai réussi à obtenir un vol vers Port-au-Prince le 17 janvier. À mon arrivée, j’ai appris que deux de mes collègues en chirurgie orthopédique (Dr. Eric Edouard et Dr. Lascaze Buissereth) étaient morts dans le tremblement de terre. Tout le monde que je connais avait perdu un membre de sa famille proche.
Quelques jours après mon retour à Haïti, j’ai été impressionné de voir maintes et maintes équipes de chirurgiens et d’infirmiers de partout dans le monde mettre leur vie personnelle de côté pour venir nous aider. Ils n’ont pas tardé à installer une aire de triage dans le stationnement de l’hôpital où j’ai ma pratique privée, le Centre hospitalier du Sacré-Coeur (CDTI). Ils ont démontré un souci profond pour la douleur et la peine profondes vécues par mes compatriotes, une aide encore plus importante, selon moi, que leur appui physique. C’est ce qui m’a permis de traverser des jours très longs et difficiles. J’ai été encore plus touché par la façon dont les propriétaires de l’hôpital CDTI, le Dr. Reynold Savain et sa femme, Geneviève Audain Savain, ont réagit à la tragédie. Sans hésitation, ils ont ouvert les portes de leur institution, l’investissement de leur vie, aux gens désespérément blessés et dans le besoin de leur pays (sans même penser aux répercussions sur l’avenir de l’hôpital).
Leur geste de bonté et leur élan de générosité ont confirmé les raisons pour lesquelles j’ai été « appelé » à travailler dans le domaine de l’orthopédie.
La portée des soins fournis dans le cadre des mesures de secours ont changé le cours des choses pour bien des blessés. Le taux de réadaptation et la qualité des soins de suivi aux personnes traitées a largement dépassé mes premières attentes. Tous les patients sont très reconnaissants.
Quels sont vos espoirs pour l’avenir d’Haïti? On se demande ce qui arrivera à Haïti quand l’histoire du tremblement de terre aura perdu l’éclat de la nouveauté. Comment les patients se remettront-ils de leurs blessures si nous n’avons pas les médicaments nécessaires pour traiter les infections inévitables? Mon hôpital survivra-t-il, alors qu’il a perdu des revenus significatifs et accumulé des dépenses considérables en offrant des soins gratuits à tous les gens qui s’y sont présentés? Et qu’en sera-t-il de ma pratique privée et de nos employés? Comment pourrai-je rétablir ma pratique pour faire vivre ma famille? Quelle sera ma nouvelle définition de la « normalité »? Le 12 janvier 2010, Haïti a subi une très grande perte de vies (jusqu’à 200 000 personnes, selon certaines estimations) et de biens. Nombre de gens vivent maintenant dans des tentes de fortune, dans l’appréhension des après-chocs. Au moins un tiers de notre population a perdu un membre de sa famille proche.
Les os cassés, quand ils sont bien soignés, guérissent en quelques semaines, et les gens apprennent à s’adapter aux amputations.
Toutefois, les cicatrices émotionnelles peuvent être paralysantes et ne jamais guérir.
Maintenant que la crise initiale à Haïti est passée, les équipes médicales vont s’en aller reprendre le cours de leurs vies. Les orthopédistes haïtiens resteront pour remettre les choses en place. Toutefois, la tâche moins attrayante, la reconstruction, est encore plus importante. La forme que prendra cette reconstruction est l’enjeu intéressant.
Nous croyons que la communauté orthopédique haïtienne se trouve dans une position privilégiée pour se reconstruire et améliorer sa condition. Nous avons l’occasion de nous réinventer pour un jour être reconnus comme un Centre d’excellence en orthopédie. Les gens croiront que ce but est irréaliste et audacieux, mais il n’est pas impossible à atteindre.
On considère souvent qu’Haïti est un pays sans potentiel. Cependant, je crois que la communauté orthopédique haïtienne peut non seulement survivre à ce désastre, mais même se démarquer dans les années à venir. Nous aurons besoin d’aide, du moins pour les prochaines années, pour atteindre cet objectif.
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